Culture : Visite du siège de la Société Générale

Publié par Marie Luxembourg le 4 décembre 2014 à 15:47 (CET) ( 808 visites )

La Commission Culturelle de la FNAA, en lien avec la Société Générale, a organisé le Jeudi 27 novembre après-midi deux visites (16h et 18h30) de l’ancien siège de la Société Générale.

La création de la Société Générale fit l’objet d’un décret napoléonien en date du 4 mai 1864 répondant au désir de l’empereur de favoriser le développement du commerce et de l’industrie. C’est l’époque où Haussmann transforme Paris, l’Opéra vient d’être construit, la chaussée d’Antin couvre les égouts jusqu’à présent à ciel ouvert, des mesures d’urbanisme se mettent en place pour conserver une unité aux quartiers.

Fondée par des industriels et financiers, dont la famille Schneider du Creusot, les banquiers Hensch et Bount , l’homme d’affaires Paulin Talabot , elle se développe rapidement en France et à l’étranger.
D’abord installée rue de Provence, mais très vite à l’étroit, elle acquiert en 1905 dans le quartier de l’Opéra et des Galeries Lafayette, l’ilot immobilier du 29 boulevard Haussmann où siégeait la banque Morgan et où habitait le peintre Caillebotte, pour un peu plus de 15 millions de franc-or.
Ce quartier est bien achalandé : l’Opéra, les Galeries Lafayette attirent un potentiel de clientèle aisée. C’est d’ailleurs pour cela que la banque reste ouverte sans interruption permettant ainsi aux riches clients de venir chercher les bijoux de ces dames au coffre avant d’assister aux représentations de l’opéra et venir les remettre ensuite. Aujourd’hui, l’envergure mondialiste de la banque fait que le siège est constamment accessible sans interruption.
La rénovation de l’ensemble est confiée à l’architecte Jacques Hermant qui venait de réaliser la salle Gaveau. Influencé par l’école de Nancy, il va mettre le béton au service d’une décoration art nouveau et emploiera des maitres d’œuvre issus pour la plupart de l’École Centrale.
Les travaux démarrent en 1906 mais la crue de 1910 va retarder leur achèvement et ce n’est qu’en 1912 que l’établissement fut inauguré.
La façade extérieure a été entièrement redessinée : un motif central au fronton porte des sculptures allégoriques de la Ville, le Fleuve et Mercure, le Dieu du commerce. Un peu plus bas, six statues personnifient les activités de la banque.

Entrons dans la banque.
Nous remarquons sur notre gauche, la plaque à la mémoire « des Agents de la Société Générale morts glorieusement pour la défense de la Patrie » entièrement restaurée à la feuille d’or.

Nous suivons notre guide…
Au rez-de-chaussée, un open-space ouvert sur 4 niveaux, organisation de bureaux innovante en ce début du 20ème siècle, est entouré d’un comptoir de bois précieux portant toujours la balance à peser l’or et délimitant ce que les agents appellent communément « le fromage ». Au centre un système à air comprimé, sur le principe de la pompe mammouth, permettait d’envoyer des documents d’agence à agence.
Surplombant le fromage, en éclairage zénithal, une coupole pendulaire suspendue en toiture, est décorée à la manière de l’école de Nancy de frises de couleur, de monogrammes de la Société Générale, de motifs d’armoiries symbolisant les villes de Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux. Elle est en verre opalin dégradé de couleurs – procédé découvert par Tiffany aux USA- et s’appuie sur 4 piliers de bronze galvanisé doré. Composée de 51 plaques, elle s’étoile jusqu’à se terminer sur des médaillons de bronze aux effigies des principales villes où la Société Générale s’est implantée. Les mezzanines sont bordées par des balustrades aux motifs de chêne et de glands- la force et la pérennité-
Le sol festonné d’une mosaïque de tesselles, entrelacs de feuillage avec l’emblème de Mercure et les armoiries de la Générale, s’enroule autour du comptoir central. Il est percé de douze plaques de cuivre ajourées couvrant les aérations ou les arrivées du chauffage.
Les luminaires glandiformes à un million de francs la pièce sont réalisés par la Maison Christofle qui en a toujours les moules à ce jour. Cette commande assura le quart du chiffre d’affaire de la société du maître bronzier d’art. Quatre pendules électriques ont leur cadran éclairé, le calendrier mural est toujours changé manuellement par un agent qui a la charge de mettre tous les soirs les nouvelles plaques pour le jour à venir.

Suivons le guide jusqu’au sous-sol…
La porte qui donne accès aux salles du sous-sol est en acier galvanisé qui résiste aux attaques d’explosifs en fondant sans s’éclater, barrant le passage aux éventuels visiteurs d’un soir. Nous remarquons la poignée serpents ainsi que le fronton aux feuilles de chêne, glands et emblème mercuriel qui s’enracine dans le chambranle de marbre noir veiné de blanc.
Quelques marches plus bas, nous arrivons dans une rotonde et notre regard ne peut se détacher de la porte d’accès à la salle des coffres. Elle se présente comme un cercle offrant ainsi aucun point de fragilité, pesant 18 tonnes, alternant couche d’acier doux et d’acier chromé. Elle est doublée d’une autre porte à serrure codée de 11 tonnes et d’une grille de jour, le tout ancré dans un tambour blindé de 6 tonnes. Elle fut fabriqué par la maison Fichet au Creusot, transportée en train jusqu’à la Villette et par fardiers tirés par 9 chevaux jusqu’à la Chaussée d’Antin. Elle est le seul et unique accès à la salle des coffres et à ce jour aucune tentative de cambriolage n’a été enregistrée (il n’y a aucune sortie ou arrivée extérieure comme l’eau, les toilettes).
La grille franchie, ce n’est que dorure : armoire toujours en acier galvanisé, chaise en laiton (repeinte en gris afin que l’occupant allemand de la dernière guerre ne soit tenté de les faire fondre). Nous découvrons un ensemble d’armoires fortes qui cachent un peu plus de 8000 compartiments. Tous les locataires peuvent entrer ensemble et se poser derrière de petits guéridons à joues pour la confidentialité. Les coffres sont protégés par une clé et un code détenus par le locataire. La perte d’une clé ou l’ouverture forcée pour une succession entraîne de lourds frais.

Quelques petites histoires sur les compartiments laissés en succession : on y trouva une collection de petites culottes toutes identifiées par une étiquette mentionnant le nom de la dame, ou bien un billet « Vous n’aurez rien » ou bien un autel souvenir autour d’une urne funéraire...Pour les coffres tombés en déshérence, le contenu est envoyé à la Caisse des Dépôts pour le compte de l’état.

Le sous-sol descend jusqu’à 11 m. de profondeur. La crue de la Seine en 1910, les égouts qui avaient aussi débordé, la nappe phréatique ont astreint l’architecte à construire sur un radier, plusieurs couches successives de murs de béton qui isolent aussi bien de l’eau que des intrusions extérieures, transformant les 4 étages de sous-sol en chambre forte à jamais violée… même pas par la bande à Bonnot qui sévissait.

Mais qui sont les agents ?
Dans cette société de la fin du XIXème siècle, les rôles sont clairement définis : la femme tient le foyer, l’homme fait vivre le foyer. C’est pourquoi les employés sont essentiellement masculins (aujourd’hui encore certaines toilettes sont uniquement masculines). Les garçons y entre dès l’âge de 12 ans et leur principal travail est de nettoyer les encriers, tailler les crayons, porter le courrier d’un étage à l’autre. Et si vous aviez une belle écriture, si vous étiez un peu réveillé, vous pouviez comme le fit M.Dorizon, vous hissez jusqu’à la direction générale.
Certains font des travaux d’écriture et de comptabilité (les opérations sont inscrites sur de grands registres dont un exemplaire est visible en salle des coffres), d’autres sont en service clientèle. De jeunes hommes avec uniforme bien voyant allaient à pieds chez les clients. Ils étaient « garçon de recettes » et se chargeaient de convoyer les fonds des clients jusqu’à la banque. Inutile de vous dire combien l’emploi était à risque !
Après la guerre de 14-18, les jeunes filles y furent admises sous les conditions, entre autres, d’être de bonne moralité, croyante, de ne jamais parler à un collègue masculin, de s’habiller de noir, de ne pas se marier et d’emprunter la sortie qui était réservée à la gente féminine.

Notre visite guidée s’arrête là non sans avoir rencontré le chef d’agence : Madame Laurence Lallemand, aveyronnaise de cœur par mariage.
Cette restructuration de l’espace immobilier a bénéficié de tous les avancées techniques : éclairage et horloges électriques, chauffage par air pulsé, communication par air comprimé, salle de sports ou de détente, ascenseurs. Aujourd’hui ce palais bancaire, qui a su préserver son patrimoine artistique en le faisant inscrire à l’inventaire des Monuments historiques, reste un fleuron exceptionnel de l’Art Nouveau à Paris.

De grands mercis à Anne-Valérie Malvejac et Pascal Mestdag qui nous ont proposé cette visite insolite : la découverte d’un bâtiment tout fait authentique.

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Crédit photos : la Société Générale